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16 septembre 2021

 

La pire catastrophe,

c’est le catastrophisme !


Nous vivons tout sur le mode de la catastrophe : catastrophe économique (chômage, consommation…), catastrophe politique (guerres, terrorisme…), catastrophe écologique (destruction de l’environnement), catastrophe climatique (réchauffement), catastrophe personnelle (burn out) et bien évidemment catastrophe sanitaire (Covid). Se profile même ces derniers temps une prédilection des médias à évoquer de manière récurrente de possibles catastrophes cosmiques (météorites, comètes…) Même les enfants vivent sur le mode de la catastrophe, en se passionnant depuis trente ans pour les dinosaures et autres sauriens jadis maîtres du monde et disparus suite à quelque cataclysme…

                              


Je voudrais insister dans cet article sur le fait que le catastrophisme n’a rien d’objectif, mais qu’il s’agit d’un FILTRE de perception. Non le philtre magique d’une fée ou d’un sorcier, mais un filtre de perception inconscient qui nous incite à tout percevoir sur le mode de la catastrophe. Et si aujourd’hui vous ne « donnez » pas dans la catastrophe, vous êtes immanquablement un mondialo- climato- écolo- vaccino- sceptique. Un réac, quoi !

Le catastrophisme - la collapsologie en tant que discipline « scientifique » - a pour fondement qu’en toutes choses, si nous voulons survivre, il nous faut intervenir en toute urgence. C’est le fer de lance des États, LA justification fondamentale qu’ils peuvent donner à leur action. Et en matière d’opposition, ils ne rencontrent que celle qui leur dit qu’ils agissent mal, pas assez ou pas assez vite. Une opposition pour laquelle il faut continuer à faire appel à l’intervention de l’État, à toujours plus d’État, « contre les riches et les puissants qui s’approprient toute la richesse, en détruisant tout sans vergogne, et sans se soucier un instant du monde que nous léguons aux générations futures ni même des effets que leurs recherches produisent sur notre santé ». Appels « gauchistes » ou « populistes » qui pourraient nous faire croire que « eux au moins ils font quelque chose, ou essaient de faire quelque chose ». Ce que je ne nierai pas, ils s’agitent, mais pour agir (ce qui est relativement différent), il faut un tant soit peu PENSER, et c’est ce que ces derniers résistants « oublient » de faire… renforçant par là-même l’idée qu’il n’y a rien à faire ! Hormis s’agiter… Car le principe même de l’Urgence est que l’on n’a pas le temps de penser, qu’il faut agir en catastrophe !

Selon beaucoup, il est même déjà trop tard. Pour eux, comme pour l’esprit du temps en général, l’Humanité est condamnée à court terme. La conclusion est, pour les partisans du retrait personnel, évidente : vivons individuellement notre vie du mieux que nous le pouvons sans essayer d’y comprendre ou d’y faire quoi que ce soit. C’est peine perdue ! D’où le succès actuel de toutes les techniques de bien-être, d’où aussi le repli universel qui se marque dans l’étranglement de la vie sociale et l’épanouissement des spiritualités d’inspiration orientale. On a vu Paris en ville morte au printemps 2020, mais depuis vingt ans Paris se meurt.

Telle est la double réalité du catastrophisme aujourd’hui. Tantôt l’urgence d’une vaine agitation qui semble par avance perdue, même à ses promoteurs. Tantôt le retrait du monde, la recherche de la sérénité. Or, nous sommes à un moment de l’Histoire où il faut agir, et surtout penser cette action, ainsi que je l’ai développé dans La fin de l’État dont la nécessaire suite serait Le monde d’après... d'après l’État !



Tel n’est pas mon propos aujourd’hui. Je voudrais simplement faire un rappel historique sur ce maudit catastrophisme.

Le CATASTROPHISME n’est pas nouveau. Il a connu une de ses époques de gloire à la fin du XIXe siècle. C’est ce que l’on a appelé l’esprit « Fin de siècle ». Une mentalité largement liée à la philosophie de Nietzsche, lequel terminait son ouvrage sur la Généalogie de la morale par cette sentence : « L’homme préfère encore vouloir le Néant que de ne pas vouloir du tout. » Et Nietzsche donne le ton d’une époque. En effet, le monde intellectuel et artistique de la fin du XIXe est complètement désespéré. On a à ce moment vécu deux ou trois siècles de triomphe de la Raison. C’est l’ère du « positivisme » : le Progrès humain est la donnée centrale et inéluctable de l’Histoire. L’Homme a conquis la planète dont on fait le tour en 80 jours. Rayonnent la technique, l’industrie, le commerce. La Science a elle aussi conquis l’Univers. Le Système construit par Newton au début du XVIIIe en explique largement les fondements, même s’il est susceptible de quelques améliorations.

Et voici que tout s’effondre. On ne parle plus que de « crise de la Science », le Système de Newton explose, et avec lui toutes les certitudes. La Raison n’explique plus rien, pas même le comportement humain, largement guidé par l’inconscient, comme le développe Freud. En outre, l’espèce humaine, jadis si fière d’elle-même, n’est guère, Darwin l’a montré, qu’une espèce animale, issue d’une évolution dominée non par une adaptation progressive mais par le hasard des mutations.

En outre, concrètement, le développement industriel qui devait révolutionner la vie humaine a plongé la plus grande partie des humains dans la misère des villes. Et les Européens, à la tête de ce mouvement, ont détruit les autres continents et leurs Cultures. Les grandes religions s’avilissent en catéchismes grossiers et en pratiques superstitieuses. La philosophie, nous l’avons vu, ouvre sur le Néant.

Le monde de l’Art lui-même a perdu toutes ses certitudes : après la rupture avec le réalisme classique à la fin du siècle, on en viendra vingt ans plus tard à exposer un urinoir ou une toile peinte par la queue d’un âne. En musique, la grandiloquence wagnérienne donne le ton. Harmonie et contrepoint font place aux grands effets.

Dans les dernières années du XIXe siècle, les artistes viennois, à la pointe du mouvement, ont forgé le concept d’Apocalypse joyeuse, sur le principe : Tant qu’à finir, autant finir en beauté ! Puisque nous allons à la catastrophe, autant profiter de l’existence jusqu’à ce qu’elle arrive, plutôt que de nous lamenter. À l’esprit fin de siècle succède au début du XXe siècle ce qu’on appelle la « Belle époque », tout aussi désespérée, mais dominée par l’insouciance et le plaisir. Une époque sans perspective, totalement refermée sur elle-même. Le temps où on attend.

Mais peu à peu les choses se précisent. On ne peut attendre éternellement, il faut précipiter les choses. Et une nouvelle ère s’ouvre, dont on peut voir un symbole majeur dans la première du Sacre du Printemps de Stravinski, présenté par les Ballets russes de Diaghilev au Théâtre des Champs Élysées, le 29 mai 1913. « Le mythe du renouveau de la vie à travers la danse de mort de la jeune fille annonce la naissance d’une ère nouvelle. Intellectuels et artistes vont se précipiter à la recherche de tout ce qui pourrait rendre possible une “purification” du monde. Quinze mois plus tard les foules des capitales européennes se jettent dans la guerre. » (Modris Eksteins) Tout le monde commence à croire à ce grand choc, cette commotion dont sortira un monde nouveau ! Le monde d’après…

Comment expliquer sans cela le ralliement quasi universel à la Grande Guerre ? La Guerre apportera un renouveau spirituel pour les uns, elle déclenchera la révolution mondiale pour les autres… Trente ans de guerre, hélas, pour accoucher d’un monde pire encore ! Forcément : un monde façonné par la Guerre !


Le caractère apocalyptique principal du discours actuel réside dans la formule du « monde d’après », qui symbolise la révélation (apocalupsis) du monde nouveau qui grâce à la crise succédera à la décrépitude finale du monde actuel. Un monde vert, durable, social etc. auquel on n’accédera qu’à travers un inévitable cataclysme salvateur. La crise actuelle arrive, malgré sa base sanitaire très réduite à tenir ce rôle catalyseur, tant elle est gonflée par le verbiage tant médiatique que complotiste. Car le problème véritable est bien là : les uns comme les autres se situent délibérément dans l’optique catastrophiste, qui est le ciment véritable de l’esprit du temps.

Or ce catastrophisme est le revers d’une situation sur laquelle on n’insistera jamais assez : l’incapacité actuelle des humains de dégager une compréhension globale des phénomènes historiques en cours et des enjeux qu’ils recouvrent. C’est pour cela que tout est ramené au simple argument d’éviter la catastrophe. Sans doute pour mieux passer de Charybde en Scylla. Mais surtout parce qu’on ne voit pas du tout où l’on va.


Dans l’univers judéo-chrétien, la catastrophe se situe au début des Temps. Le Déluge ayant ravagé la Terre, Noé rassemble un couple de chaque espèce animale dans son arche et sauve le monde de la destruction. Au XXIe siècle, Dieu rend à nouveau vite à Noé.

– Une fois encore, la terre est devenue invivable. Construis une arche et rassemble un couple de chaque être vivant ainsi que quelques bons humains. Dans six mois, j'envoie la pluie durant quarante jours et quarante nuits, et je détruis tout !!!

Six mois plus tard, Dieu retourne chez Noé et ne voit qu'une petite ébauche de construction navale.

– Mais, Noé, tu n'as pratiquement rien fait ! Demain il commence à pleuvoir !

– Pardonne-moi, Tout Puissant, j'ai fait tout mon possible mais les temps ont changé ! J'ai essayé de bâtir l'arche mais il faut un permis de construire et l'inspecteur me fait des ennuis au sujet du système d'alarme anti-incendie.


Mes voisins ont créé une association parce que la construction de l'échafaudage dans ma cour viole le règlement de copropriété et obstrue leur vue. J'ai dû recourir à un conciliateur pour arriver à un accord.

L'Urbanisme m'a obligé à réaliser une étude de faisabilité et à déposer un mémoire sur les coûts des travaux nécessaires pour transporter l'arche jusqu'à la mer. Pas moyen de leur faire comprendre que la mer allait venir jusqu'à nous. Ils ont refusé de me croire.

La coupe du bois de construction navale s'est heurtée aux multiples Associations pour La Protection de l'Environnement sous le triple motif que je contribuais à la déforestation, que mon autorisation donnée par les Eaux et Forêts n'avait pas de valeur aux yeux du Ministère de l'environnement, et que cela détruisait l'habitat de plusieurs espèces animales. J'ai pourtant expliqué qu'il s'agissait, au contraire de préserver ces espèces, rien n'y a fait.

J'avais à peine commencé à rassembler les couples d'animaux que la SPA et WWF me sont tombés sur le dos pour acte de cruauté envers les animaux parce que je les soustrayais contre leur gré à leur milieu naturel et que je les enfermais dans des pièces trop exiguës.

Ensuite, l'agence gouvernementale pour le Développement Durable a exigé une étude de l'impact sur l'environnement de ce fameux Déluge.

Dans le même temps, je me débattais avec le Ministère du Travail qui me reprochait de violer la législation en utilisant des travailleurs bénévoles. Je les avais embauchés car les Syndicats m'avaient interdit d'employer mes propres fils, disant que je ne devais employer que des travailleurs hautement qualifiés et, dans tous les cas, syndiqués.

Enfin le Fisc a saisi tous mes avoirs, prétextant que je me préparais à fuir illégalement le pays tandis que les Douanes menaçaient de m'assigner devant les tribunaux pour "tentative de franchissement de frontière en possession d'espèces protégées ou reconnues comme dangereuses".

Aussi, pardonne-moi, Tout Puissant, mais j'ai manqué de persévérance et j'ai abandonné ce projet.

Aussitôt les nuages se dissipent, un arc-en-ciel apparaît et le Soleil luit.

– Mais, Seigneur, tu renonces à détruire le monde ? demande Noé.

– Inutile, répond Dieu, l'État s'en charge..!


Rassurez-vous, tout peut  continuer à fonctionner comme cela fonctionne aujourd’hui. Avec les ONG, les syndicats, la protection de l’environnement, les normes sanitaires et 1 001 réglementations qui sont déjà 1 000 001 et n’en finiront pas de croître, tandis que nous nous contenterons de survivre.

Même si les problèmes ne manquent pas, nous ne sommes pas devant LA catastrophe, nous pouvons survivre. Mais quant à la possibilité de vivre, le prisme d’une catastrophe imminente dont le souci est le but premier de toute action, ce miroir aux alouettes est, paradoxalement certes, mais de manière évidente, un des principaux moyens de nous inhiber complètement.

Et la thèse fondamentale du Catastrophisme est sans nul doute à l’inverse que c’est notre seule pulsion de vie qui va nous empêcher de survivre… Serait-ce donc cette pulsion de vie qu’il faut museler pour … survivre ?




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