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06 septembre 2021

 

Méfiance universelle et fin de l’État

 

La méfiance est le maître-mot du jour. Comment faire encore confiance à qui que ce soit, puisque sur le plan de l’information politique principalement, tout est vicié ? Comment faire confiance à qui que ce soit, en quelque circonstance que ce soit, puisque chacun est mû par ses intérêts particuliers, ceux de sa classe sociale, et par ses pulsions inconscientes, son propre faire-valoir ? Cette méfiance s’applique à tous les domaines, des exploits sportifs au climat, menace imminente ou construction hypothétique. Et bien sûr à cette pandémie qui pour les uns est un fléau, pour les autres une sinistre farce, sur fond d’une simple épidémie moins grave que tant d’autres ?

Pourquoi cette méfiance ? La presse est très peu diversifiée. Et on ne peut faire confiance aux réseaux sociaux, qui colportent n’importe quoi : ces fake news qui sont peut-être vraies, peut-être fausses et qui sont répandues soit par des gens qui cherchent à percer une vérité qu’on veut « nous cacher », soit par des farfelus de tout acabit,… Les humains sont ainsi pris en tenaille. Nous vivons une situation dans laquelle il n’y a plus moyen d’opérer le moindre discernement et où il ne nous reste qu’une seule certitude : la méfiance universelle.

 

Loin de moi l’idée de discréditer le soupçon en lui-même. Le scepticisme est un élément moteur de la Pensée. L’acceptation immédiate des apparences en tant que vérités essentielles ou le ralliement à une série de dogmes intangibles qui énonceraient les bases absolues de tout Savoir sont des obstacles majeurs à la Pensée. Inversement, le point de vue d’un scepticisme absolu affirmant l’impossibilité d’un savoir autre que pratique inhibe lui aussi la Pensée. Le point de vue dogmatique se résume à affirmer la prédominance d’une vérité intouchable et de limiter ou d’interdire tout soupçon. Interdiction qui porte généralement le nom de censure. Le point de vue critique se concentre sur l’affirmation que toute chose est bonne à dire, que seule la coexistence de toutes les opinions est fondamentale, puisque La Vérité n’existe pas mais que chacun porte la sienne et qu’il faut que coexistent toutes les vérités particulières, toutes les subjectivités. Ce qui ramène à deux formules : Une Vérité officielle  ou Tout est bon à dire.

Nous sommes passés socialement dans les 50 dernières années d’une formule à l’autre, du tout au tout. Jadis il était difficile de glaner quelques informations. Aujourd’hui, nous sommes écrasés sous une masse d’informations. Si devant une situation complexe, on ne me donne que quelques informations en m’en cachant une série d’autres, je ne pourrai accéder au fondement des choses. Mais si à l’inverse je suis bombardé d’une immense quantité de données, je ne pourrai pas plus (voire encore moins) me faire la moindre idée. Dans le premier cas, le frein s’appelle CENSURE, dans le second SURABONDANCE. C’est tantôt l’absence d’informations utiles, tantôt le débordement d’informations inutiles qui constituent les obstacles majeurs.

Sur quoi repose la théorie de l’information ? Sur la Théorie de l’expérience dont les modernes ont fait la base de tout savoir. Négation globale du processus historique qui constitue l’Humanité, elle est une négation de la Connaissance (au sens fort) du Réel, au profit d’une exaltation des savoirs pratiques. La Connaissance (naître avec) cède la place au savoir-faire (efficacité). Le fondement de notre Savoir, jadis mise en relation et élaboration par notre esprit, fait place à l’éclatement des approches par les sens. Le détenteur de la Connaissance, de Docteur devient Spécialiste. Jadis Docteur, mais en quoi ? En Rien ou en Tout, c’est selon, puisqu’il avait parcouru l’ensemble du champ de La Connaissance humaine. On parle aujourd’hui d’experts, spécialistes en une infime parcelle des savoirs. Cette mutation, présentée comme une conséquence de l’extension infinie des connaissances humaines, est en fait un renoncement à la Connaissance. En fonction de quoi le monde moderne est passé des mains des clercs dans celles des managers, dont le principe est que la réalité comme Ensemble n’existe pas. N’existe qu’un monde éclaté, incompréhensible (étymologiquement, ne pouvant être saisi ensemble)

Le rejaillissement de cette approche moderne dans le domaine de l’éducation est patent : l’enfant ne doit plus être éduqué, il doit faire ses expériences.  Et le but de l’éducation est de formater le citoyen et de lui faire acquérir un savoir-faire, celui du technicien de surface ou de la communication, de la philosophie, etc. Manuels ou intellectuels, mais tous techniciens.

Cela se traduit aujourd’hui par l’omniprésence des experts et des managers politiques. Un sacré cirque ! La conséquence de cette manière de traiter les choses est que les Humains en sont réduits à suivre plus ou moins volontairement les consignes d’un Pouvoir d’ État complètement déconnecté du bon sens des humains, base et conséquence de la Sagesse des clercs. Ceci s’est traduit politiquement par une disparition de l’AUTORITÉ, s’appuyant sur la Sagesse, et un développement infini du POUVOIR, d’un État qui a s’est incorporé l’ancienne autorité des clercs, devenus intelligentsia. D’un État qui « gouverne » une société qui s’apparente de plus en plus à une ruche ou une fourmilière.

La crise présente met en évidence que nous sommes arrivés à la fin du développement de ce POUVOIR d’État. Selon Montesquieu, la dynamique du Pouvoir, celle de son propre accroissement, l’amène finalement à détruire le socle sur lequel il s’est élevé. L’État, depuis un siècle (Août 1914) détruit physiquement et moralement l’Humanité qu’il prive de sa spécificité, Pensée et Langage. Il nous ramène à une simple réalité animale, privée d’esprit : « …encore un peu de temps et tout s'éclaircira ; nous verrons enfin apparaître le miracle d'une société animale, une parfaite et définitive fourmilière. » (Paul Valéry, 1918)

Comme toute autre création humaine, la forme de l’État politique est amenée à disparaître. Pour céder la place à quoi ? Non à cette anarchie que l’État génère lui-même au quotidien pour mieux se présenter comme notre seul Sauveur. Mais à une AUTORITÉ, non plus statique à l’image du Dogme ancien, mais centrée sur le développement de l’humain.

La méfiance universelle est aujourd’hui le principal signe de l’absence totale de sagesse et de bon sens. Annonce-t-elle cette Fin de l’État dont j’ai fait le thème de mon dernier ouvrage ?

 

Jacques De Cock

Historien

 



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