Médias et fake news :
la double contrainte
Une double
contrainte (de l'anglais double bind) est une situation
dans laquelle une personne est soumise à deux contraintes ou pressions contradictoires
ou incompatibles. Une double contrainte désigne donc
l'ensemble de deux injonctions qui s'opposent mutuellement augmentées d'une
troisième, qui empêche l'individu de sortir de ce dilemme[1]. Si
vous ne faites pas X, vous ne pourrez pas (survivre,
être en sécurité, vous amuser, etc.), mais si vous faites X,
vous ne pourrez pas (survivre, être en sécurité, vous amuser, etc.) Ou
encore : “Ne fais pas X,
ou je te punirai.” et “Si tu ne fais pas X, je te
punirai”. C’est ce qu’on appelle une injonction paradoxale.
Dans le système d’information actuel, cela
donne : je te raconte n’importe
quoi, mais tu dois me croire ET si tu
ne me crois pas, c’est donc que tu crois n’importe quoi.
Comme
pour beaucoup d’autres choses, la crise récente a accentué encore le narratif uniforme matraqué par les radios
et les télévisions. Non que ce ne fût le cas auparavant, mais maintenant tout le monde sait. Que sait-on
exactement ? Que les médias tiennent
un discours qui n’a aucun rapport à
la Vérité, un discours purement de circonstances. Pas nécessairement un
discours contraire à la vérité, mais un discours qui en tout cas ne la
recherche pas, ne se veut que concret, efficace,
lié aux événements. Peu importe que ce soit vrai ou faux… ils s’en foutent. En
anglo-américain, ils emploient pour désigner ces foutaises le terme argotique de bullshit !
Ce qui permet parfaitement, on vient de le voir et on le voit encore, que six
mois plus tard, voire même le lendemain, on dit exactement la foutaise
contraire de celle qu’on vient de répandre, ou simplement une autre. C’est l’exemple célèbre du mot
d’ordre Les pommes de terre, c’est
bon ! quand pendant la guerre les silos regorgeaient de patates, suivi
du slogan Les pommes de terre font
grossir ! parce que les silos étaient vides. Comme pour les stocks de masques récemment !
Les
discours tant officiels que « anti » n’ont pas pour but de nous tromper. Ils sont au service d’une prise de position
générale et ne se soucient pas du tout de la Vérité. Laquelle d’ailleurs
n’existe pas, ajoutent les intellectuels, puisqu’il est bien convenu que
n’existe qu’à chacun sa vérité.
Et
quand je dis qu’aujourd’hui « tout
le monde sait » qu’il en est ainsi, cela veut bien sûr dire que
ceux-là mêmes qui déploient et représentent le discours officiel le savent
aussi. Ils passent évidemment pour de stupides idiots à se contredire aussi
manifestement, mais cela fait partie de leur boulot. Leur image en
pâtit-elle ? Certes au regard de la notion sacrée du Père omniscient, ce n’est plus tout à fait ça… : il
faut précisément, pour faire partie des cercles dirigeants aujourd’hui, être
avant tout humble et avoir rompu avec
le caractère sacré du Pouvoir au
profit de son efficacité, quitte à s’excuser ensuite d’avoir fait une
erreur. C’est bien à la mode ces derniers temps, comme si avouer ses fautes
passées permettait d’en faire d’autres d’autant plus impunément aujourd’hui.
Le
problème se transforme en double contrainte quand on voit que
ceux qui s’opposent au discours officiel
(les anti-) déploient exactement les mêmes méthodes.
C’est-à-dire que pour eux non plus le rapport de leur discours à la Vérité ne
se pose pas. Eux aussi recherchent la seule efficacité,
l’impact émotionnel. Leur seule
volonté est de s’opposer. La fake news se caractérise par le fait
qu’elle vient contredire le discours
officiel. Celui-ci dit blanc, l’autre
dira noir. C’est assez simple en
somme. Il suffit de rapporter un fait en discordance avec le discours officiel
ou un autre fait, une autre image qui frappe.
On peut aussi ne pas seulement contredire le discours officiel, mais affirmer
en plus que ce discours est produit pour tromper. On verse alors
dans ce qu’on appelle aujourd’hui complotisme.
Accuser l’information officielle de manipuler la Vérité au service des
puissants et des riches. À quoi le Discours officiel répond que le complotiste dit
tout et n’importe quoi pour générer l’anarchie.
Et
ils ont tous deux RAISON.
Voilà
exactement le principe de la double
contrainte. Vous êtes contraints de choisir, et quel que soit le choix que
vous faites, le résultat est exactement
le même : stupide, inconséquent.
Comment s’en sortir ?
C’est bien là notre problème aujourd’hui, et il n’y a guère d’autre solution
que de se taire ! Arrêter tous
ces ragots de commères et compères, laisser tomber ces discutailleries infinies
qui n’ont d’ailleurs pas d’autre but que de se mettre en avant, de servir de bannières, comme les experts virologues
et les anti-experts à la Raoult.
J’ai dit quelque part qu’on ne s’en sortirait
pas si on ne se remettait pas à penser. Et
penser, cela veut dire aujourd’hui arrêter
de commenter ce qu’on appelle l’actualité.
Quant à savoir que faire, il y a deux points de vue différents. Le point de vue individuel :
agir suivant sa conscience des principaux humains fondamentaux et faire des
règles sociales ce qu’on veut et ce qu’on peut, sans se faire prendre ! Quant au point de vue collectif,
arrêter ce remue-ménage insensé qui ne peut que nous enfoncer dans la bêtise.
Nous y sommes doublement contraints
en attendant que par miracle nous
puissions être libérés de ce cirque et nous
développer, quitter cet univers
d’univers d’images et à nouveau penser et parler.
Que peut-on dire d’autre de la situation
actuelle que ce que disait Guillaume Du Vair des calamités de la guerre civile
au XVIe siècle :
« Il advint en une honnête maison qu’un singe,
que l’on y nourrissait par plaisir, alla prendre un petit enfant au berceau et
le porta au faîte de la couverture : incontinent qu’on s’en aperçut, le
père et la mère accoururent tout transis, pleurant et ne sachant que faire, car
de crier ou courir après le singe, il eût laissé tomber l’enfant qui se fût rompu
cent fois le cou. Ils attendaient donc sans mot dire et regardaient piteusement
les larmes aux yeux et tout tremblants de frayeur ce qui en devait advenir. Il
arriva, et ce fut une grande grâce de Dieu, que le singe redescendit tout
doucement et reporta l’enfant où il l’avait pris. Nous avons eu et avons les mêmes sueurs, et avons vu et voyons encore
notre religion et notre pauvre État entre les mains d’étranges gens et
merveilleusement étourdis, qui s’en jouent et les tiennent pendus en l’air du
bout des doigts et prêts à les précipiter au moindre étonnement. Au moins
plût-il à Dieu, mais je ne l’ose espérer, qu’à la fin ils nous fissent le tour
du singe et nous remissent où ils nous ont pris au commencement. » (De la constance et consolation es calamités
publiques, 1594)
Face
à ceux qui nous refont le tour du singe, attendons
patiemment sans remuer la m… dans la
perspective, même si nous n’osons
l’espérer, qu’ils nous remettent là où ils nous ont pris au commencement.
Et attaquons-nous au problème fondamental : contre le monde d’après qu’ils nous préparent, construisons le monde
d’après l’État !
[1] Le concept a été développé
principalement par Gregory Bateson (Bateson, G., Jackson, D. D., Haley, J.
& Weakland, J., Towards a Theory of
Schizophrenia. in Behavioral Science, 1956). En français, le représentant le plus
connu de cette école dite de Palo Alto
fondée par Bateson est Paul Watzlawick (notamment Une logique de la communication, 1967)
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