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03 septembre 2021

 

Médias et fake news :

la double contrainte

 

Une double contrainte (de l'anglais double bind) est une situation dans laquelle une personne est soumise à deux contraintes ou pressions contradictoires ou incompatibles. Une double contrainte désigne donc l'ensemble de deux injonctions qui s'opposent mutuellement augmentées d'une troisième, qui empêche l'individu de sortir de ce dilemme[1]. Si vous ne faites pas X, vous ne pourrez pas (survivre, être en sécurité, vous amuser, etc.), mais si vous faites X, vous ne pourrez pas (survivre, être en sécurité, vous amuser, etc.) Ou encore : “Ne fais pas X, ou je te punirai.” et  “Si tu ne fais pas X, je te punirai”. C’est ce qu’on appelle une injonction paradoxale.

Dans le système d’information actuel, cela donne : je te raconte n’importe quoi, mais tu dois me croire ET si tu ne me crois pas, c’est donc que tu crois n’importe quoi.

Comme pour beaucoup d’autres choses, la crise récente a accentué encore le narratif uniforme matraqué  par les radios et les télévisions. Non que ce ne fût le cas auparavant, mais maintenant tout le monde sait. Que sait-on exactement ? Que les médias tiennent un discours qui n’a aucun rapport à la Vérité, un discours purement de circonstances. Pas nécessairement un discours contraire à la vérité, mais un discours qui en tout cas ne la recherche pas, ne se veut que concret, efficace, lié aux événements. Peu importe que ce soit vrai ou faux… ils s’en foutent. En anglo-américain, ils emploient pour désigner ces foutaises le terme argotique de bullshit ! Ce qui permet parfaitement, on vient de le voir et on le voit encore, que six mois plus tard, voire même le lendemain, on dit exactement la foutaise contraire de celle qu’on vient de répandre, ou simplement une autre. C’est l’exemple célèbre du mot d’ordre Les pommes de terre, c’est bon ! quand pendant la guerre les silos regorgeaient de patates, suivi du slogan Les pommes de terre font grossir ! parce que les silos étaient vides. Comme pour les stocks de masques récemment !

Les discours tant officiels que « anti » n’ont pas pour but de nous tromper. Ils sont au service d’une prise de position générale et ne se soucient pas du tout de la Vérité. Laquelle d’ailleurs n’existe pas, ajoutent les intellectuels, puisqu’il est bien convenu que n’existe qu’à chacun sa vérité.

Et quand je dis qu’aujourd’hui « tout le monde sait » qu’il en est ainsi, cela veut bien sûr dire que ceux-là mêmes qui déploient et représentent le discours officiel le savent aussi. Ils passent évidemment pour de stupides idiots à se contredire aussi manifestement, mais cela fait partie de leur boulot. Leur image en pâtit-elle ? Certes au regard de la notion sacrée du Père omniscient, ce n’est plus tout à fait ça… : il faut précisément, pour faire partie des cercles dirigeants aujourd’hui, être avant tout humble et avoir rompu avec le caractère sacré du Pouvoir au profit de son efficacité, quitte à s’excuser ensuite d’avoir fait une erreur. C’est bien à la mode ces derniers temps, comme si avouer ses fautes passées permettait d’en faire d’autres d’autant plus impunément aujourd’hui.

Le problème se transforme en double contrainte quand on voit que ceux qui s’opposent au discours officiel (les anti-) déploient exactement les mêmes méthodes. C’est-à-dire que pour eux non plus le rapport de leur discours à la Vérité ne se pose pas. Eux aussi recherchent la seule efficacité, l’impact émotionnel. Leur seule volonté est de s’opposer. La fake news se caractérise par le fait qu’elle vient contredire le discours officiel. Celui-ci dit blanc, l’autre dira noir. C’est assez simple en somme. Il suffit de rapporter un fait en discordance avec le discours officiel ou un autre fait, une autre image qui frappe. On peut aussi ne pas seulement contredire le discours officiel, mais affirmer en plus que ce discours est produit pour tromper. On verse alors dans ce qu’on appelle aujourd’hui complotisme. Accuser l’information officielle de manipuler la Vérité au service des puissants et des riches. À quoi le Discours officiel répond que le complotiste dit tout et n’importe quoi pour générer l’anarchie.

Et ils ont tous deux RAISON.

Voilà exactement le principe de la double contrainte. Vous êtes contraints de choisir, et quel que soit le choix que vous faites, le résultat est exactement le même : stupide, inconséquent.

Comment s’en sortir ? C’est bien là notre problème aujourd’hui, et il n’y a guère d’autre solution que de se taire ! Arrêter tous ces ragots de commères et compères, laisser tomber ces discutailleries infinies qui n’ont d’ailleurs pas d’autre but que de se mettre en avant, de servir de bannières, comme les experts virologues et les anti-experts à la Raoult.

J’ai dit quelque part qu’on ne s’en sortirait pas si on ne se remettait pas à penser. Et penser, cela veut dire aujourd’hui arrêter de commenter ce qu’on appelle l’actualité.

Quant à savoir que faire, il y a deux points de vue différents. Le point de vue individuel : agir suivant sa conscience des principaux humains fondamentaux et faire des règles sociales ce qu’on veut et ce qu’on peut, sans se faire prendre ! Quant au point de vue collectif, arrêter ce remue-ménage insensé qui ne peut que nous enfoncer dans la bêtise. Nous y sommes doublement contraints en attendant que par miracle nous puissions être libérés de ce cirque et nous développer, quitter cet univers d’univers d’images et à nouveau penser et parler.

Que peut-on dire d’autre de la situation actuelle que ce que disait Guillaume Du Vair des calamités de la guerre civile au XVIe siècle :

« Il advint en une honnête maison qu’un singe, que l’on y nourrissait par plaisir, alla prendre un petit enfant au berceau et le porta au faîte de la couverture : incontinent qu’on s’en aperçut, le père et la mère accoururent tout transis, pleurant et ne sachant que faire, car de crier ou courir après le singe, il eût laissé tomber l’enfant qui se fût rompu cent fois le cou. Ils attendaient donc sans mot dire et regardaient piteusement les larmes aux yeux et tout tremblants de frayeur ce qui en devait advenir. Il arriva, et ce fut une grande grâce de Dieu, que le singe redescendit tout doucement et reporta l’enfant où il l’avait pris. Nous avons eu et avons les mêmes sueurs, et avons vu et voyons encore notre religion et notre pauvre État entre les mains d’étranges gens et merveilleusement étourdis, qui s’en jouent et les tiennent pendus en l’air du bout des doigts et prêts à les précipiter au moindre étonnement. Au moins plût-il à Dieu, mais je ne l’ose espérer, qu’à la fin ils nous fissent le tour du singe et nous remissent où ils nous ont pris au commencement. » (De la constance et consolation es calamités publiques, 1594)

Face à ceux qui nous refont le tour du singe, attendons patiemment sans remuer la m… dans la perspective, même si nous n’osons l’espérer, qu’ils nous remettent là où ils nous ont pris au commencement. Et attaquons-nous au problème fondamental : contre le monde d’après qu’ils nous préparent, construisons le monde d’après l’État !

 




[1]     Le concept a été développé principalement par Gregory Bateson (Bateson, G., Jackson, D. D., Haley, J. & Weakland, J., Towards a Theory of Schizophrenia. in Behavioral Science, 1956). En français, le représentant le plus connu de cette école dite de Palo Alto fondée par Bateson est Paul Watzlawick (notamment Une logique de la communication, 1967)

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